Au début du XXᵉ siècle, voler est encore un rêve fou. Les machines volantes s’élèvent quelques secondes, vacillent, retombent. Et puis arrive un homme au parcours inattendu, sportif, inventif, un peu tête brûlée : Henri Farman. C’est lui qui, en 1908, réussit l’un des premiers vols de ville à ville en France, entre Bouy et Reims. Un exploit qui transforme la Champagne en symbole de la conquête du ciel. Mais Henri Farman, ce n’est pas seulement un vol historique : c’est aussi un constructeur visionnaire, un champion de records, et un nom encore gravé dans la mémoire de Reims.
Un sportif devenu aviateur
Né à Paris en 1874 dans une famille franco-britannique, rien ne destinait Henri Farman à devenir aviateur. Il dessine, peint, puis se passionne pour le sport. Cyclisme, automobile, motocyclisme : il gagne des courses, repousse les limites. Cette soif de vitesse va l’amener naturellement vers ce nouveau terrain de jeu : l’aviation. En 1907, il achète un biplan Voisin et commence ses essais. À l’époque, voler plus de quelques centaines de mètres est déjà un exploit. Pourtant, en janvier 1908, Farman boucle le premier kilomètre en circuit fermé. La presse s’enflamme : un Français vient de montrer que l’avion peut voler… et revenir.
Le premier vol de ville à ville
Le 30 octobre 1908, Farman décolle de Bouy, près de Mourmelon. Objectif : rejoindre Reims, à plus de 25 kilomètres. Aucun pilote n’avait encore réussi un vol d’une ville à une autre de manière officielle. Son biplan Voisin fend l’air froid du matin. Vingt minutes plus tard, il se pose près de Reims, accueilli par des curieux, des journalistes et des élus locaux. Ce vol Bouy–Reims marque l’histoire : l’avion n’est plus un simple jouet mécanique, mais un moyen de déplacement. Reims devient, en une journée, un symbole de modernité et d’audace.
La Grande Semaine d’Aviation de la Champagne
Reims accueille en 1909 la Grande Semaine d’Aviation de la Champagne, le premier grand meeting aérien international. Celui-ci réunissait des dizaines de pilotes et des milliers de spectateurs venus du monde entier… mais aussi Henri Farman. Grâce à son Farman III, il remporte le prix du plus long vol : 180 kilomètres parcourus en trois heures. Les spectateurs assistent à quelque chose d’inédit : des avions qui tournent, reviennent, repartent. Reims devient, pendant quelques jours, la capitale mondiale de l’aviation.
Farman constructeur : naissance d’une industrie
Henri Farman n’est pas seulement pilote. Avec ses frères Maurice et Dick, il fonde les Avions Farman. Dans leurs usines près de Paris, ils conçoivent des appareils robustes, faciles à piloter. Durant la Première Guerre mondiale, leurs avions “Farman” sont utilisés par l’armée française. Après la guerre, ils lancent l’un des premiers avions de ligne européens, le Farman Goliath. L’avion devient alors une industrie, et Henri Farman en est l’un des principaux bâtisseurs.
Un héritage bien vivant à Reims
L’impacte de Farman est encore visible dans la région rémoise : une avenue et un lycée portent son nom; à Bouy, une stèle commémore son vol historique; l’ancien terrain d’aviation de Bétheny, devenu base aérienne puis espace urbain, reste un lieu de mémoire. Son nom évoque à la fois l’audace, l’innovation et cette période où chaque vol était un pari sur l’avenir. Henri Farman n’était pas un inventeur isolé dans un atelier. C’était un sportif, un entrepreneur, un passionné. Il a fait passer l’aviation du rêve à la réalité. Et il a offert à Reims un chapitre unique de son histoire : celui où le ciel s’est ouvert pour la première fois.